A
travers des correspondances et les photographies d’albums de famille du fonds
Pierre Allier (don d’Alain Le Grand) de la collection des Archives municipales et communautaires de Quimper, voici
des morceaux de vie d’une Quimpéroise qui traverse le début du XXème siècle,
marquée par la Grande Guerre, en quête d’émancipation.
Jehanne
Allier est née à Saumur en 1893.
Elle
est la fille d’Adolphe Allier originaire du Gard et de Louise Autrou, fille
d’un sculpteur sur bois de Quimper de la fin du XIXe siècle.
Jehanne
grandit à la Villa des Glycines impasse de l’Odet, entre la gare et la rivière. Elle est une bonne élève,
tout comme ses frères, Pierre qui réalise des études de droit et Marcel qui
devient chirurgien-dentiste.
Catherine
Michelet, la domestique habite avec les Allier. Ils ont pour voisin un certain
Joseph Mitterrand qui n’est pas encore le père du président.
En
1904, son grand frère Pierre initie la République Glacièroise où chaque membre
de la fratrie et des camarades de collège occupent un poste à responsabilités
dans cette « société secrète » de potaches. Leur mascotte est une
chèvre noire. Il se murmure alors que ces nouveaux républicains seraient à
l’origine de quelques coups d’éclat relayés dans la presse locale.
Jehanne
profite de la vie, sort avec ses amies, immortalise son passage à la fête
foraine.
Elle
se déguise en walkyrie pour les gras, en bretonne de l’Aven ou de l’Ile de Sein
pour se faire photographier chez Etienne Le Grand et Joseph Villard.
Les
photographies possèdent un dos imprimé de lignes
matérialisant l’espace de correspondance et celui de l’adresse, comme une carte
postale. Il est d’usage de s’échanger par la poste des portraits tirés à
plusieurs exemplaires.
Jehanne s’adonne à la musique,
pianiste, elle accompagne la Chorale Quimpéroise
Elle pratique également la peinture et
demande des couleurs à son frère qui est à Paris.
1913, c’est aussi
l’année où Jehanne reçoit des demandes en mariage…
Elle éconduit Lepage,
un ami de son frère Marcel comme nous l’apprend son père dans une lettre à
Pierre
Puis le 29 avril 1913,
Adolphe relate que Jehanne refuse une nouvelle d’un jeune homme : Maurice
Deroux qui de dépit, semble-t-il, s’engage pour l’Afrique au grand dam de ses
parents.
Des lettres enflammées
de patriotisme circulent dans la famille Allier dans les premiers mois de la
guerre.
Adolphe Allier évoque
les blessés arrivant à Quimper en 1915 et le « dévouement admirable »
de Jehanne qui est devenue infirmière à l’hôpital de la
Retraite.
Puis les lettres
suivantes annoncent les morts.
Jehanne a aussi des prétendants durant la guerre. Elle a
conservé une lettre émouvante.
Les femmes travaillent,
organisent la vie et envoient des colis aux deux frères engagés dans le
conflit. Georgette Lavergne est dentiste comme son mari Marcel Allier. Elle est
amenée à se déplacer en voiture. Pour la nouvelle année 1916 ou 1917, c’est un
pâté de lièvre, écrasé par l’automobile, qui fait le bonheur de Pierre.
Le 8 aout 1918 Adolphe, le père de Jehanne meurt. La guerre
finie, elle quitte Quimper et entame des études à Paris pour devenir
chirurgienne dentiste. Mais
elle ne délaisse pas la Bretagne pour autant, ni son gout pour la fête et elle
aspire à une vie libre et sans regret. Le 1er février 1920 elle écrit :
« Je ne regrette aucun parti que j’ai refusé jusqu’ici, ce n’est pas que
je sois opposée au mariage mais j’entends me marier à mon goût ou pas du
tout ».
Jehanne se marie à 43
ans en 1936 en ayant cultivé son indépendance et son franc-parler.
Pour exemple, Jehanne
donne son avis au commissaire de l’enquête d’utilité publique concernant le
réamenagement des quais de l’Odet en 1963. Comme nombre de vieux Quimpérois,
elle signifie clairement aux édilités locales la volonté de conserver les
magnolias et les jardins en bordure de la rivière :
Au
nom des Quimpérois aimant leur cité, je proteste avec véhémence contre le
projet insensé de détruire les jardins et les arbres en bordure de l’Odet pour
en faire un boulevard.
Ce
ravalisme n’arrangera rien à la circulation […] Ces passerelles sur l’Odet
conduisant à ces jardins fleuris faisaient l’originalité de Quimper et
frappaient les touristes y venant pour la 1ère fois. Quand il y aura
à la place un boulevard insipide comme on en voit dans toutes les villes
Quimper perdra une grande partie de son charme et de son attrait... Il est
impensable que ce soit de vrais quimpérois qui aient décidé d’un tel projet et
tous ceux qui ont un sens artistique ne peuvent que le déplorer. […] Il n’y
aurait pas plus de raison de démolir la cathédrale pour en faire un parc à
autos ou de couvrir l’Odet jusqu’à Bénodet pour construire une autostrade sous
prétexte d’améliorer la circulation. Je fais des vœux pour que notre vénéré
Santik Du éclaire les gens compétents en ce qui concerne ce sinistre projet.
Jehanne s’éteint à
Quimper en 1980 à l’âge de 87 ans.
Conception et textes : Simon Jourdan
Ressources : Archives municipales et communautaires de Quimper. Fonds 19J, 22J et 45Fi.